L’intelligence artificielle au service de la protection de la faune
09/02/2022L’écologie animale est entrée dans l’ère de l’intelligence artificielle (IA) et du big data. Des volumes sans précédents de données sont désormais collectés sur des populations d’animaux sauvages. Pour cela, les experts se servent de technologies sophistiquées telles que les satellites, les drones ou encore des dispositifs terrestres tels que des caméras automatiques et des capteurs placés sur le corps des animaux ou au sein de leur environnement.
De nos jours, ces données sont devenues faciles à acquérir et à partager. En effet, grâce à la technologie, les distances et les délais pour les chercheurs ont diminué. D’autre part, les avancées techniques ont permis de minimiser la présence des humains dans les habitats naturels.
Une variété de programmes d’intelligence artificielle (IA) sont aujourd’hui disponibles pour l’analyse de vastes ensembles de données. Malheureusement, ils sont souvent de nature générale. En outre, ils sont souvent mal adaptés à l’observation du comportement et de l’apparence exact des animaux sauvages. Cependant, une équipe de chercheurs de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne a esquissé une approche pionnière basée sur l’intelligence artificielle pour tenter de résoudre ce problème.
Construction d’un savoir-faire transversal
Depuis plusieurs années, la recherche sur la faune est passée du local au mondial. Les technologies modernes offrent désormais de nouvelles méthodes révolutionnaires pour produire des estimations plus précises des populations d’animaux sauvages. Elles permettent de mieux comprendre le comportement des animaux, de lutter contre les activités de braconnage et d’endiguer le déclin de la biodiversité.
Les écologistes peuvent avoir recours à l’intelligence artificielle, et plus particulièrement à la vision par ordinateur, pour extraire les caractéristiques principales des images, des vidéos et d’autres formes visuelles de données. Cela leur permet de classer plus rapidement les espèces sauvages, de compter les animaux individuels et de collecter certaines informations à l’aide de grands volumes de données.
Cependant, les programmes génériques utilisés actuellement pour le traitement de ces données fonctionnent souvent comme des boîtes noires. Ils ne tirent pas totalement parti des connaissances existantes sur le règne animal. En outre, leur personnalisation est souvent difficile à réaliser. Par ailleurs, leur contrôle de qualité est parfois médiocre. Enfin, ils sont potentiellement sujets à des problèmes éthiques liés à l’utilisation de données sensibles.
Ces programmes contiennent également plusieurs biais. Il s’agit notamment de biais régionaux. Par exemple, si toutes les données utilisées pour la formation d’un programme proviennent d’Europe, il se peut que celui-ci ne convienne pas à d’autres régions du monde.
L’intelligence artificielle comme catalyseur dans la protection de la faune
« Nous voulions intéresser davantage de chercheurs à ce sujet et rassembler leurs efforts pour avancer dans ce domaine émergent. L’IA peut servir de catalyseur clé dans la recherche sur la faune et la protection de l’environnement dans une plus large mesure », a déclaré le professeur Devis Tuia, responsable du Laboratoire de sciences computationnelles de l’environnement et d’observation de la Terre de l’EPFL et auteur principal de l’étude.
Les chercheurs peuvent, par exemple, souhaiter réduire la marge d’erreur d’un programme d’IA formé à la reconnaissance d’une espèce. Pour cela, ils doivent pouvoir s’appuyer sur les connaissances des écologistes animaliers.
Ces derniers peuvent préciser quelles caractéristiques doivent être prises en compte dans le programme, par exemple si une espèce peut survivre à une latitude donnée, si elle est cruciale pour la survie d’une autre espèce (par exemple dans une relation prédateur-proie) ou si la physiologie de l’espèce change au cours de sa vie.
« Nous avons utilisé cette approche pour améliorer un programme de reconnaissance des ours », a expliqué le professeur Mackenzie Mathis, neuroscientifique à l’EPFL et co-auteur de l’étude.
« Il y a quelques années, un chercheur étudiant l’ADN de l’ours a installé des caméras automatiques dans les habitats des ours afin de reconnaître les animaux individuellement. Mais les ours perdaient la moitié de leur graisse corporelle lorsqu’ils hibernaient. Par conséquent, les programmes génériques que les caméras utilisaient n’étaient plus en mesure de reconnaître les ours une fois le changement de saison. Nous avons donc ajouté des critères au programme. Ceux-ci permettent d’observer si un animal a une caractéristique donnée, mais aussi être modifiés manuellement pour tenir compte d’éventuelles déviations. »
Initiatives existantes
L’idée de forger des liens plus solides entre la vision par ordinateur et l’écologie a vu le jour lorsque Tuia, Mathis et d’autres ont discuté de leurs défis de recherche lors de diverses conférences au cours des deux dernières années.
Ils se sont rendu compte qu’une telle collaboration pourrait être extrêmement utile pour empêcher l’extinction de certaines espèces sauvages.
Certaines initiatives similaires existent déjà. Tuia et son équipe de l’EPFL ont développé un programme capable de reconnaître les espèces animales à partir d’images de drones. Récemment, les chercheurs ont testé ce programme sur une population de phoques.
Pendant ce temps, Mathis et ses collègues ont dévoilé le progiciel open source DeepLabCut. Celui-ci permet aux scientifiques d’estimer et de suivre les poses d’animaux avec une précision remarquable. Déjà téléchargé 300.000 fois, DeepLabCut a été conçu pour les animaux de laboratoire mais peut également être utilisé pour d’autres espèces. Des chercheurs d’autres universités ont également développé des programmes. Toutefois, il leur est difficile de partager leurs découvertes car aucune véritable communauté n’existe encore dans ce domaine.
D’autres scientifiques ne savent souvent pas que ces programmes existent ou lequel conviendrait le mieux pour leur recherche spécifique.
« Une communauté prend progressivement forme », a encore déclaré Tuia.
« Jusqu’à présent, nous avons utilisé le bouche à oreille pour construire un premier réseau. Nous avons commencé il y a deux ans avec les personnes qui sont aujourd’hui les autres principaux auteurs de cette recherche. »