Les robots créent et recréent déjà des œuvres d’art. En revanche, que le fait d’avoir recours à l’intelligence artificielle rende ou non les artistes obsolètes dépendra de la manière dont ces derniers l’utiliseront, écrit Naomi Réa, rédactrice de Artnet News, dans The Guardian.
L’intelligence artificielle dans l’art
Dernièrement, Internet a été inondé de portraits artistiques numériques incroyablement éthérés via l’application d’IA Lensa. Pour cela, ils ont dû télécharger une photo sur l’application. Par la suite, moyennent une somme modique, Lensa a utilisé l’IA pour transformer leur photo de profil en une version magique d’eux-mêmes.
Par ailleurs, plusieurs générateurs d’images via IA ont également débarqué. On a en outre amélioré leurs performances. La formation de ces modèles d’IA se fait maintenant via des millions de données d’images et de textes issus de contenus publics en ligne.
L’IA génératrice d’art telle que DALL-E peut désormais convertir des « invites » (en IA, une « invite » ou « prompt » en anglais est un message visuel ou sonore sollicitant l’opinion ou l’action de l’opérateur, ndlr) de textes courts de type « Ronald Reagan réalisant une chirurgie à cœur ouvert » en images inédites.
Dorénavant, tout utilisateur peut produire les images d’aspect professionnel qu’il souhaite. Il ne faut pour cela aucune formation en art ou en design.
Toutefois, ce type d’avancée commence à inquiéter les personnes dont les moyens de subsistance dépendent de la possibilité d’échanger leurs compétences artistiques contre une rémunération.
Au début, les personnes actives dans les industries créatives plus cognitives ont longtemps estimé qu’elles n’avaient rien à craindre de l’automatisation. En effet, nombreux étaient ceux qui pensaient qu’un ordinateur ne pourrait jamais récréer l’aura d’un chef-d’œuvre de Léonard de Vinci.
En effet, les images via l’IA comprennaient plusieurs erreurs et problèmes. Ces manquements étaient en quelque sorte leur marque de fabrication par une machine.
Cependant, à mesure que les résultats en matière artistique de l’IA sont devenus plus convaincants, l’inquiétude des créateurs a augmenté. C’est le cas des graphistes et les illustrateurs commerciaux qui honorent leurs commandes selon les spécifications des clients.
L’IA imite le style des artistes
L’IA est déjà active sur le terrain des emplois créatifs. Récemment, le San Francisco Ballet a eu recours au laboratoire de recherche indépendant Midjourney pour la création de la campagne marketing visuelle de sa production The Nutcracker.
Toutefois, selon un représentant du ballet, une trentaine de concepteurs, producteurs et créateurs humains ont participé à cette campagne malgré le recours à l’IA.
D’autre part, l’IA « artistique » comporte une menace supplémentaire pour les moyens de subsistance des artistes. En effet, ce type d’outils est capable de recréer le style d’artistes spécifiques. De prime abord, cette fonctionnalité peut sembler amusante en cas d’utilisation, par exemple, d’images originales évoquant la manière dont Van Gogh aurait pu peindre une thématique.
« Toutefois, lorsqu’il s’agit d’artistes en vie qui ont passé des années à développer leur style distinctif, l’étrange compétence de l’IA à mimer, sans crédit ni compensation, devient problématique », écrit Naomi Réa.
L’année dernière, l’illustrateur d’art fantastique Greg Rutkowski s’est rendu compte que son nom figurait parmi les « invites » les plus populaires sur la plateforme AI Stable Diffusion. Dans The Guardian, Rutkowski explique que la seule manière d’arrêter d’alimenter l’algorithme serait de mettre un terme à la publication de son travail sur Internet. Il souligne que c’est actuellement impossible dans l’industrie artistique.
Intelligence artificielle et droit d’auteur
Le recours juridique des artistes estimant que ces outils IA enfreignent le droit d’auteur est vague, explique Réa. Par ailleurs, il s’agit d’un sujet épineux.
D’une part, les avocats au sein de l’UE contestent la légalité de l’utilisation d’images sous copyright pour la formation des systèmes d’IA. Cependant, au Royaume-Uni, pays souhaitant être à la pointe dans ce domaine, il existe déjà un projet de loi donnant carte blanche lors de la formation de l’IA à visée commerciale.
Cependant, pour le moment, il n’est pas clair si le droit d’auteur s’applique dans le cas du style artistique. En effet, la protection d’un style visuel est quelque chose de compliqué.
Ces controverses n’ont attiré l’attention de l’opinion publique que récemment. Toutefois, des factions d’artistes ont anticipé des solutions depuis un moment.
Les artistes berlinois Mat Dryhurst et Holly Herndon ont développé une fonction publique pour déterminer si leur travail a été extrait d’un ensemble de données de 150 téraoctets baptisé LAION.
LAION est un réseau ouvert d’intelligence artificielle mettant à disposition du public des modèles d’apprentissage automatique, des corpus de données et leur code. Ce réseau est actuellement utilisé par la majorité des générateurs d’images IA.
Spawning, l’organisation de ces artistes, est également en train de créer un outil offrant aux artistes la possibilité de définir des autorisations concernant l’exploitation de leur style par les algorithmes d’IA.
Stability AI, organisation liée à Stable Diffusion, et LAION sont censés s’associer à Spawning pour honorer les demandes de consentement avant la prochaine formation de Stable Diffusion. Par ailleurs, une mise à jour récente de cet outil a éliminé la possibilité de rédiger des « invites » comprenant le nom d’un artiste.
Lacunes, biais et stéréotypes néfastes dans la formation de l’IA
D’autres ensembles de données ouvertes pour la formation des modèles d’IA existent. Cela limite ainsi le potentiel de ces outils d’IA.
Par ailleurs, ceux-ci présentent des lacunes. Les biais et préjugés humains des personnes étiquetant ces images de formation des modèles ont codé ceux-ci avec des stéréotypes et représentations néfastes.
Lensa crée des avatars féminins trop sexualisés. Cet outil exagère en outre les phénotypes raciaux dans ses résultats. Cette application éprouve également des difficultés à lire les caractéristiques métisses.
Cependant, plusieurs artistes estiment que la technologie pourrait les aider.
Pour Michelle Thompson, illustratrice du Royaume-Uni, l’intelligence artificielle pourrait aider au développement de concepts et à l’affinement de la production artistique. Thompson estime que l’IA est opportunité.
L’apprentissage automatique a toujours été limité par les ensembles de données de formation . L’imagination humaine quant à elle n’a pas de limite.
Selon Dryhurst, les modèles d’IA pourraient concevoir une version pâle d’une création exécutée des années auparavant. L’IA ne tient pas compte de ce que les artistes pourraient ensuite réaliser.
D’autre part, les sorties visuelles de ces outils d’IA publics sont déjà répétitives. Même un public non spécialiste pourra bientôt apprendre à reconnaître la main de l’IA.
Actuellement, les travaux artistiques les plus riches conceptuellement réalisés via l’IA sont ceux d’artistes tels que Mario Klingemann et Anna Ridler. Or, ceux-ci personnalisent leurs propres ensembles de données de formation. Cela leur permet d’organiser les sorties de la machine de manière imaginative.
« Le type d’IA remplaçant les artistes – un robot créatif autonome capable d’une imagination et d’une expression humaines n’existe pas encore. Toutefois, il arrive. Mais à mesure que l’IA est partout, les artistes, illustrateurs et designers seront finalement distingués non pas par le fait qu’ils utilisent la technologie, mais par leur utilisation de cette dernière », conclut Naomi Réa.