Dans un article pour le média indépendant The Conversation, trois chercheurs australiens, s’interrogent sur les raisons poussant une société technologiquement avancée, la nôtre, à choisir de se détruire en s’abstenant d’agir véritablement contre le réchauffement climatique.
Maintien de notre dépendance aux combustibles fossiles
110 dirigeants mondiaux sont actuellement réunis à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27) en Égypte.
Dans The Conversation, Vanessa Bowden, sociologue et philosophe de l’Université de Newcastle, Daniel Nyberg, professeur de Newcastle spécialisé dans l’étude de l’impact des politiques sur le réchauffement climatique, et Christopher Wright, professeur d’études organisationnelles de l’Université de Sydney, font part de leur pessimisme à l’égard du résultat des pourparlers se tenant lieu à la COP 27.
Les auteurs estiment qu’il est en effet difficile que ces discussions n’aboutissent à un changement radical en ce qui concerne la hausse inévitable des émissions mondiales de carbone au cours des deux cent dernières années.
Avant la COP26 de Glasgow, les scientifiques avaient expliqué qu’il s’agissait de la dernière carte pour le monde de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C.
Cependant, selon un rapport récent de l’ONU, même si toutes les nations atteignaient leurs objectifs climatiques, on assisterait à un réchauffement climatique de 2,5°C.
Avec la pandémie, on avait tablé sur une sortie des économies mondiales de leur dépendance aux combustibles fossiles. En effet, les blocages avaient permis une réduction de la consommation d’énergie. Par ailleurs, plusieurs politiciens avaient proposé des programmes politiques alternatifs, expliquent les auteurs.
Notre société technologiquement avancée a choisi de se détruire
Néanmoins, après avoir rouvert les frontières, la dépendance du monde aux énergies fossiles a refait surface de plus belle. Selon l’Agence internationale de l’énergie, on devrait assister en 2022 à un doublement du revenu net des producteurs de pétrole et de gaz.
« En tant que spécialistes des sciences sociales, il est à la fois horrifiant et fascinant d’observer comment une société technologiquement avancée a choisi de se détruire en s’abstenant d’agir pour éviter une catastrophe climatique », écrivent les scientifiques.
Pendant plusieurs décennies, les climatologues les plus éminents ont mis en garde le monde contre les dangers des gaz à effet de serre en constante augmentation.
Par ailleurs, les responsables politiques et les grandes entreprises connaissaient cette menace plus de dix avant le public. Ainsi, en 1977, Jimmy Carter avait reçu des informations quant à la probabilité d’un réchauffement climatique catastrophique.
D’autre part, à la même époque, des notes internes de l’une des compagnies pétrolières les plus importantes indiquaient que la poursuite de l’utilisation de combustibles fossiles provoquerait un réchauffement climatique considérable de la planète.
Les trois chercheurs australiens se demandent donc ce qui a motivé le peu d’action au cours des 45 années qui ont suivi.
« Pourquoi condamnons nos enfants et les générations futures à vivre dans un monde dangereux et hostile ? », s’interrogent-ils.
Dans ce sens, selon eux, la réponse à cette question repose sur une hypothèse dominante organisée par les élites commerciales et politiques. Selon celle-ci, la croissance économique sans fin alimentée par les énergies fossiles est si fondamentale qu’elle ne peut faire l’objet d’une remise en question.
Cette idéologie dominante porte le nom de « hégémonie des combustibles fossiles ».
L’hégémonie des combustibles fossiles
L’hégémonie des combustibles fossiles consiste en l’affirmation que le capitalisme basé sur l’énergie fossile est en fait un état naturel ne pouvant être contesté.
Développé dans les années 1920 par Antonio Gramsci, le concept d’hégémonie cherche à expliquer comment les classes dominantes maintiennent leur pouvoir au-delà du recours à la force et à la coercition.
Selon ce concept, l’hégémonie implique un processus continu de consentement de la part d’acteurs-clés de la société tels que les industriels, les médias et les institutions religieuses. Ces acteurs forment un bloc dirigeant dont la société civile accepte l’ordre en vigueur, permettant ainsi d’atténuer toute menace de révolution.
« Les idées de Gramsci nous aident à mieux comprendre le manque d’action face à la crise climatique. Par ailleurs, cela nous permet d’expliquer l’influence démesurée du secteur des entreprises sur la politique climatique à travers le monde.»
Plusieurs études récentes ont étudié le concept d’hégémonie des combustibles fossiles dans des pays tels que l’Australie, le Canada et les États-Unis. Ces travaux ont montré que cette hégémonie englobe une coalition d’acteurs commerciaux et politiques. Ceux-ci ont des intérêts alignés autour de l’idée que la croissance économique dépend du carbone.
Selon les experts australiens, cette entente provoque une limitation des progrès de la législation visant à réduire les émissions de carbone.
Cette hégémonie s’est également étendue à l’activité politique des entreprises semant le doute sur la science du climat, aux lobbying contre la réduction des émissions et les énergies renouvelables et aux partis politiques dont les intérêts sont alignés sur les combustibles fossiles.
« On comprend pourquoi les écologistes préconisant de laisser les combustibles fossiles dans le sol sont attaqués par les conservateurs et les médias de droite. On les présente comme une menace pour « notre mode de vie » et comme des radicaux dangereux, voire des terroristes. »
Décarbonisation immédiate de l’économie mondiale
Bien entendu, il existe des alternatives à l’hégémonie des combustibles fossiles. Toutefois, elles impliquent une décarbonisation immédiate et spectaculaire de l’économie mondiale.
Mais ces alternatives exigent en outre l’introduction de modèles économiques alternatifs de décroissance. Celle-ci implique une contraction planifiée et équitable des économies riches jusqu’à ce qu’elle puisse opérer régulièrement et dans la limite des ressources naturelles.
D’autre part, cette décroissance implique également des systèmes d’échange de carbone avec un plafond qui baisse rapidement, des limites d’extraction de combustibles fossiles, l’autonomie des travailleurs et des heures de travail plus courtes ainsi que des garanties d’emploi avec des salaires décents.
Ces politiques reposent sur des réformes fiscales en vue de limiter l’utilisation des ressources et de réduire les émissions de carbone. Parallèlement, elles favorisent le partage du travail et la limitation de la production et de la consommation.
Cela nécessite également une politique beaucoup plus démocratique que ne le permet l’hégémonie actuelle, indiquent encore Bowden, Nyberg et Wright.
« Il doit s’agir d’une politique qui remet en question l’illusion que la croissance économique peut se poursuivre alors même que les systèmes de survie de la Terre commencent à tomber en panne. »
Enfin, le véritable test pour l’hégémonie des combustibles fossiles sera de savoir combien de temps cette image peut persister à mesure que le climat devient plus extrême et que l’activisme climatique se développe.
« De plus en plus de personnes reconnaissent la réalité de la crise climatique. Ceux qui cherchent à maintenir l’hégémonie des combustibles fossiles devront travailler plus dur pour maintenir leur emprise sur la politique climatique. »