Pendant la majeure partie du régime autoritaire de Poutine, les Russes ont pu accéder aux fruits numérique de la mondialisation. Tant qu’ils restaient à l’écart des questions politiques, on les laissait tranquilles. Cependant, les forces armées russes perdent du terrain face à la contre-offensive ukrainienne. Parallèlement, les opposants russes à la guerre défient le pouvoir et appellent à la démission de Poutine. De nos jours, chaque citoyen risque de faire l’objet d’une surveillance en ligne. Ils risquent en outre une arrestation pour avoir aimé une publication jugée inadéquate sur les réseaux sociaux, rapporte Slate.
Des milliers de personnes arrêtées
Condamnée mondialement, la Russie s’est heurtée à des sanctions. Elle a dû en outre faire face à des troubles sur son propre territoire. Depuis le début du conflit, les autorités ont procédé à l’arrestation de plus de 16.000 personnes en raison de leur opposition à l’invasion. Le gouvernement russe s’est concentré sur le développement de ses outils numériques afin d’étouffer la voix des opposants nationaux.
Ces derniers mois, les tribunaux russes ont infligé des amendes à Google, Facebook, Twitter, Twitch, WhatsApp, Telegram et TikTok en raison de leur refus de supprimer des contenus interdits par la loi russe. Vladimir Poutine a accusé les plateformes de médias sociaux et d’autres entreprises technologiques basées à l’étranger de bafouer les lois Internet du pays. Il a fait pression pour forcer les entreprises étrangères à ouvrir des bureaux en Russie et à stocker les données localement. Selon plusieurs critiques, les autorités russes tentent de la sorte de museler la dissidence en imposant des réglementations plus strictes aux entreprises Internet.
De fait, les autorités ont dressé une liste noire et procédé au blocage de plus de 7.000 sites web. La Russie a en outre bannii Meta (ex-Facebook) pour ses activités extrémistes présumées. La messagerie en ligne Telegram a reçu une amende de 178.000 dollars pour avoir omis de procéder à la suppression de contenus relatifs à l’Ukraine.
Projets de loi anti-fake news
Ce actions coercitives envers les plateformes et de sites internet défavorables au régime ne sont pas un phénomène nouveau. Toutefois, le conflit avec l’Ukraine a provoqué l’accélération du rythme de surveillance numérique. Le peaufinage du système de surveillance en ligne domestique russe permet à son tour d’organiser une vague de répression politique à grande échelle.
Pour l’heure, les autorités russes n’ont pas encore la capacité d’anticiper des comportements indésirables uniquement via une publication sur Internet. Toutefois, elles y travaillent et nous devrions y prêter attention, avertit Slate.
Récemment, la Russie a adopté une série d’amendements imposant des amendes et des peines de prison allant jusqu’à 15 ans de prison pour la diffusion de fausses nouvelles ou fake news sur les forces armées russes. Sur un total de 236 affaires pénales concernant des citoyens russes pour leur opposition au conflit, on en recense 80 en rapport avec des poursuites en vertu de ce paquet de lois anti-fake news.
Selon Stanislav Seleznev, avocat de Net Freedoms Project, ces projets de loi sur les fake news sont une manière de garantir que seule la position officielle du gouvernement est diffusée.
Selon Net Freedoms et BBC News Russian, plus de 55% des affaires pénales ouvertes en vertu de cette loi concernent des citoyens ordinaires. Parmi les personnes poursuivies pour diffusion publique de fausses informations sur les forces armées, on trouve trois retraités, trois agents de police, deux étudiants, un enseignant, un médecin et un prêtre.
Natalia Krapiva, conseillère juridique technique de l’organisation Access Now a expliqué à Slate que la tendance à être arrêté pour des likes semblait s’être intensifiée avec l’invasion russe. La plupart des poursuites concerne des citoyens ordinaires dont les propos anti-guerre modéré ne plaisent pas au gouvernement.
Importants investissements russes dans la surveillance en ligne
Récemment, le ministère russe des Situations d’urgence a dévoilé son projet de dépenser environ 265 millions de dollars pour le déploiement d’un système de technologie de reconnaissance faciale « Safe City ». Ce déploiement devrait avoir lieu dans trois régions frontalières de l’Ukraine.
Le dispositif « Safe City » a fait son apparition à Moscou en 2020. Via ce système, des caméras ont été installées dans les stations de métro et dans les gares pour scanner les foules selon une base de données de personnes recherchées.
Selon Access Now, depuis le début de l’invasion russe, des personnes auraient été détenues dans le métro de la capitale en raison de leurs publications relatives à la guerre sur les réseaux sociaux. Ces outils de reconnaissance faciale serviraient à l’identification et au suivi des opposants au régime.
En 2020, le ministère de l’Intérieur a alloué 3,9 de dollars pour l’intégration des systèmes régionaux de collecte de données au sein d’une une base de données fédérale centralisée. Celle-ci inclut des données biométriques, des dossiers de police et d’autres données personnelles.
Bien qu’abandonné à cause de désaccords avec le développeur, ce projet témoigne de la volonté de création d’un seul endroit où rassembler toutes les données. Une telle base de données centralisée permet aux forces de l’ordre de surveiller et d’harceler plus facilement les citoyens sur base de caractéristiques arbitraires, explique Krapiva.
Autres outils de surveillance en ligne
La Russie dispose d’une kyrielle d’autres outils de surveillance en ligne.
L’entreprise privée SEUSLAB a développé une base de données qui se charge du suivi des utilisateurs de médias sociaux actifs durant les périodes de protestation intense. Cette application collecte des données sur leurs contacts, sur leurs publications et sur leurs partages.
Le mois dernier, Roskomnadzor, le régulateur russe d’Internet, a passé un accord de 886.000 dollars avec une entreprise privée pour développer « Oculus ». Il s’agit d’un système de réseau neuronal qui analyse les images, les vidéos et le texte sur les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie pour repérer les contenus interdits par la législation russe.
Selon les experts, cet investissement ne suffirait pas pour que ce système soit opérationnel avant la date limite annoncée de décembre. Krapiva ajoute que la Russie n’a probablement pas la capacité technologique et financière pour mettre en œuvre une police prédictive basée sur l’IA.
« Les efforts prolongés de la Russie pour renforcer son arsenal technologique démontrent un engagement clair à utiliser des outils de surveillance modernes pour accroître sa capacité de répression ciblée. »
Les outils sophistiqués, de la reconnaissance faciale au profilage prédictif, ne sont pas une solution miracle pour assurer un contrôle total sur la population d’un pays. Mais, lorsqu’elle échoue technologiquement, la Russie compense avec des méthodes d’espionnage traditionnelles comme la surveillance physique et l’ingénierie sociale.
Selon Krapiva, il est peu probable qu’un algorithme capable de prévoir avec précision le potentiel de protestation en fonction de l’utilisation des emojis ou des commentaires sur les réseaux sociaux donne des résultats exacts. Toutefois, dans un pays autoritaire comme la Russie, une technologie omnipotente n’a pas besoin de fonctionner parfaitement. Il faut juste qu’elle fonctionne assez bien pour rappeler aux Russes qu’ils sont toujours surveillés, conclut la responsable juridique d’Access Now.