Des gouvernements utilisent les coupures d’accès à Internet comme une forme de contrôle
07/09/2022Les coupures d’accès à Internet imposées par les gouvernements sont de plus en plus fréquentes à travers le monde. Du Soudan à la Syrie, de la Jordanie à Jaipur, on constate l’accentuation d’un phénomène d’autoritarisme numérique. Tel est le constat que dressent dans The Guardian, Julia Bergin chercheuse au Centre for Advancing Journalism de l’Université de Melbourne, et Louisa Lim, journaliste reporter en Chine depuis une décennie pour NPR et la BBC.
« Obscurité numérique »
De l’Ukraine au Myanmar, les pannées d’Internet imposées par des gouvernements s’accélèrent partout dans le monde, expliquent les deux expertes dans le quotidien britannique. L’année dernière, l’association Access Now, ONG qui milite pour la défense des droits civils numériques, a recensé 182 coupures d’Internet dans 34 pays.
Pour certains pays d’Afrique et d’Asie, les coupures d’Internet sont un moyen de contrôler les comportements de la population. Parallèlement, en Inde, principalement dans la région de conflictuelle du Jammu-et-Cachemire, les périodes d’obscurité numérique ont augmenté sensiblement ces dernières années.
L’essor du « kill switch internet » témoigne de la tendance mondiale croissante de l’autoritarisme numérique, expliquent Bergin et Kim. Pour de nombreux gouvernements à travers le monde, les coupures d’accès à Internet sont une arme contre leur peuple, soulignent-elles.
Simon Angus est membre de l’Observatoire Internet Monash, organisme qui se charge du suivi de la connectivité internet mondiale en temps réel. Selon cet économiste de l’Université Monash, les coupures d’Internet sont perçues dans de nombreux pays comme le signe qu’un évènement grave est sur le point d’arriver. Il s’agit d’une pratique très liée aux violations des droits de l’homme, méthode qui fonctionne comme un véritable « manteau de ténèbres ».
Des coupures d’accès à Internet de plus en plus fréquentes
Les gouvernements utilisent davantage les coupures d’Internet, et ce, même si ces blocages portent préjudice aux secouristes et aux hôpitaux et provoquent la paralysie du monde des finances. L’année dernière, les pannes d’Internet ont connu une hausse de 15% à l’échelle mondiale par rapport à 2020, indique Access Now. Leur impact économique est énorme (5,5 milliards de dollars en 2021).
L’Ukraine a connu l’obscurité numérique une heure avant l’invasion de la Russie. En février dernier, des cyberattaques massives parrainées par la Russie avaient visé un réseau internet par satellite aboutissant à la déconnexion de dizaines de milliers de modems ukrainiens. Une fois perpétré son coup d’État militaire, le Soudan a quant à lui également procédé à la coupure du réseau internet sur le pays.
Suite à des troubles civils, l’Ethiopie et le Kazakhstan ont également coupé Internet. Selon les experts, c’est toutefois le Myanmar qui remporte la palme en termes de restrictions les plus sévères à la liberté internet jamais connues. Les divers types de panne internet ont eu lieu dans les premières semaines du coup d’État, explique Doug Madory, responsable de la plateforme de surveillance Internet Kentik.
Dans un premier temps, la junte a procédé à des coupures sporadiques d’une journée pour ensuite organiser des coupures tous les soirs, pannes organisées avec une régularité métronomique sur une période de trois mois. Protégées par l’obscurité numérique, les autorités ont ensuite organisé des raids nocturnes pour dénicher des militants, des hommes politiques et des personnalités. Ces raids ont eu des conséquences psychologiques très lourdes sur la population.
Les coupures d’Internet sont devenues une forme de terreur psychologique que la population doit endurer. C’est également un signal qui souligne que le pouvoir en place contrôle toujours la situation, explique Angus.
Autres finalités des coupures d’Internet
Plusieurs gouvernements utilisent les coupures d’Internet à d’autres fins que le contrôle des troubles civils. Chaque année, des millions d’utilisateurs du Soudan, de Syrie, de Jordanie et d’Inde sont privés d’Internet en période d’examen. Les autorités cherchent ainsi à éviter la tricherie technologique via la déconnexion internet.
En Algérie, le gouvernement coupe Internet pendant une semaine afin que les lycéens ne s’adonnent pas à la tricherie pendant les épreuves de baccalauréat. Les coûts économiques et autres de cette méthode ont des répercussions sur de nombreux secteurs d’activités. Au Soudan, lorsque la junte au pouvoir a bloqué Internet en 2021, les citoyens ont dû vivre un mois sans banque en ligne et sans climatisation sous une chaleur de 40 degrés car les applications vendant de l’électricité ne fonctionnaient plus.
C’est en Inde que l’on enregistre le plus de coupures internet. L’année dernière, ce pays a procédé à 106 coupures d’accès. La région la plus affectée par les coupures est la région du Jammu-et-Cachemire. Les autorités y ont procédé à 85 coupures sous prétexte de contrôler la violence séparatiste. Suite à celles-ci, les étudiants ont été empêchés de suivre leurs cours sur Zoom, les professionnels de la santé n’ont plus pu communiquer avec leurs patients. On a également assisté au blocage du système bancaire, à la paralysie des entreprises et au pourrissement des récoltes de pommes avant leur vente.
David Kaye, professeur en droit de l’Université de Californie et ex rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté d’expression, voit dans le volume important de coupures internet en Inde un phénomène inquiétant.
« Il suffit d’observer comment ce phénomène s’est propagé depuis des régions telles que le Tadjikistan ou le Togo ou le sud du Cameroun, réputées pour leur état de droit inégal, vers un endroit tel que l’Inde. »