Facebook autorise la publicité pour des traitements non éprouvés contre le cancer
27/06/2022 Non Par Arnaud LefebvreSur Facebook, des cliniques sont toujours autorisées à faire de la publicité de traitements anticancéreux non éprouvés, et ce, malgré les prétendus efforts du réseau social pour contrôler la désinformation médicale.
Un traitement contre le cancer à base de vitamine C
Publiée sur Facebook, une annonce publicitaire vante les mérites d’Apatone, un mélange exclusif prétendument anticancéreux à base de vitamine C. L’Apatone serait capable de « tuer le cancer ». Cette substance, un traitement non approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) n’est pas disponible aux États-Unis ou en Europe. Si une personne souhaite l’utiliser, elle devra se rendre dans une clinique au Mexique.
Si un utilisateur est présent sur Facebook et Instagram et que Meta a déterminé qu’il pourrait être intéressé par les traitements contre le cancer, il est possible qu’il ait vu cette publicité de l’hôpital CHIPSA au Mexique, près de la frontière américaine. Ce type d’annonces est répertorié publiquement dans la bibliothèque d’annonces publicitaires de Meta. Il s’agit d’annonces qui font partie d’un modèle d’annonce publicitaire procédant à des allégations de santé trompeuses ou fausses et qui ciblent les patients atteints de cancer, explique Abby Ohlheiserpage sur MIT Technology Review.
Selon le média, cette annonce de CHIPSA est toujours en ligne et présente dans la bibliothèque d’annonces de Meta. En outre, Meta regorge d’annonces contenant des allégations de santé sensationnelles, dont l’entreprise profite directement.
Les publicités trompeuses peuvent rester sans réponse pendant des mois, voire des années. Certaines des publicités examinées par MIT Technology Review faisaient la promotion de traitements dont il a été prouvé qu’ils causaient des dommages physiques aigus dans certains cas. D’autres publicités orientaient les utilisateurs vers des traitements très coûteux aux résultats douteux.
CHIPSA, un hôpital offrant des traitements intégratifs contre le cancer
CHIPSA signifie Centro Hospitalario Internacional del Pacifico, S.A. Cet institut se présente comme un hôpital communautaire offrant des traitements intégratifs contre le cancer. L’établissement se décrit comme étant à la « pointe » de la recherche sur le cancer.
Selon David Gorski, oncologue à la Wayne State University dans le Michigan et rédacteur en chef du site Science-Based Medicine, la thérapie fondamentale basée sur l’alimentation de l’hôpital, nommée thérapie Gerson, est « un non-sens ». Discrédité par la communauté médicale, ce régime a été développé par un médecin allemand dans les années 1920 pour traiter les migraines. Cette cure consiste en un régime alimentaire spécial accompagné de fréquentes procédures de « désintoxication ».
MIT Technology Review a alerté Meta sur cinq publicités CHIPSA et sur trois publicités d’une autre clinique internationale appelée Verita Life. En réponse, le porte-parole de Meta, Mark Ranneberger, a déclaré qu’il avait supprimé « plusieurs des publicités pour violation de notre politique de réclamations trompeuses, qui interdit les réclamations de remèdes pour les maladies incurables ».
Facebook a supprimé deux publicités. La première affirmait qu’Apatone « tuait » le cancer et la seconde faisait preuve d’une « méfiance croissante » envers le système de santé américain. Toutefois, une autre annonce utilisant un texte identique à la seconde mais une image différente est toujours active sur le réseau social.
« Nous, patients atteints de cancer et survivants, nous sommes tout le temps bombardés de toutes ces sortes de choses alternatives », explique Nikhil Autar, un étudiant en médecine en Australie atteint de leucémie myéloïde aiguë. Autar a commencé à voir des publicités pour les centres de traitement du cancer sur Facebook en 2019. À cette époque, Facebook et d’autres plateformes ont commencé à limiter la désinformation sur la santé.
Facebook lutte contre la propagation d’allégations de santé sensationnelles et fausses
Ces dernières années, Facebook a considérablement intensifié ses efforts pour endiguer la propagation d’allégations de santé sensationnelles et fausses. En 2019, le réseau social a annoncé qu’il commencerait à traiter les allégations de santé trompeuses comme du spam. Facebook a déclaré qu’il réduirait leur portée sur les fils d’actualité. Le réseau souhaitait également limiter la visibilité des groupes Facebook privés faisant la promotion de traitements douteux.
Lorsque la pandémie de covid-19 a commencé, la société a déployé des efforts plus complets. Ceux-ci visaient à supprimer ou limiter les allégations telles que les complots concernant le virus, les masques et les vaccins diffusés sur sa plateforme.
Selon Rachel Moran, chercheuse au Center for an Informed Public de l’Université de Washington, ces tentatives ont été un pas dans la bonne direction. Cependant, de nombreuses publicités de ce type continuent de passer sur le réseau social.
Une publicité de Verita Life, à Bangkok, en Thaïlande, ciblait des Australiens. Elle affirmait à tort qu’un traitement d’hypothermie « détruirait les cellules cancéreuses ». Une capture d’écran de l’annonce en août 2020 montre qu’elle avait dejà récolté un millier de likes et 600 partages.
Autar a signalé ces publicités à Facebook en utilisant les systèmes intégrés à la plate-forme. Cependant, elles sont restées en place. À un moment donné, l’étudiant australien a utilisé une connexion de la Silicon Valley pour essayer de signaler les publicités directement à la direction de Facebook. Cela lui a permis d’arrêter de voir la clinique dans la bibliothèque d’annonces et sur son propre flux. Néanmoins, ces publicités sont revenues quelques mois plus tard.
Processus d’analyse des annonces largement automatisé
Avant que MIT Technology Review ne s’intéresse à ce sujet, CHIPSA et Verita Life avaient plusieurs publicités diffusées sur Facebook et Instagram. À la fin du mois dernier, Verita Life a pu placer une annonce faisant la promotion du témoignage d’un patient atteint d’un cancer de la prostate. MIT Technology Review a signalé cette annonce et deux autres faisant la promotion du même témoignage. Néanmoins, les trois annonces restent actives.
Avant leur mise en ligne, Meta examine les nouvelles annonces via un processus largement automatisé. Selon la société, les publicités et les publications de la page Facebook et du compte Instagram de CHIPSA peuvent être signalées et vérifiées par des vérificateurs de faits tiers. Si une entreprise enfreint à plusieurs reprises ses politiques, Meta suspendra temporairement la capacité de l’entreprise à placer des annonces.
Bien que Meta ait des règles concernant les allégations trompeuses dans les publicités, toutes les publicités Facebook et Instagram doivent également suivre les directives de la communauté Meta. Les directives interdisent le contenu « promouvant ou préconisant des remèdes miracles nocifs pour les problèmes de santé » lorsque ces allégations contribuent à la fois à des blessures graves ou à la mort et n’ont aucune utilisation légitime pour la santé.
Ces règles, même rapidement appliquées, peuvent laisser beaucoup de zone grise pour des allégations sensationnelles, explique Gorski. « Beaucoup de charlatanisme pourrait avoir une utilisation légitime pour la santé ». Par exemple, la vitamine C a évidemment des utilisations légitimes pour la santé. Toutefois, cela ne guérit tout simplement pas le cancer, explique-t-il.
L’Apatone, le remède miracle contre le cancer ?
Selon Skyler Johnson, chercheur sur le cancer qui étudie la désinformation à l’Université de l’Utah, la recherche préclinique indique que l’Apatone a un effet anticancéreux. Toutefois, rien ne démontre qu’il est plus bénéfique que les traitements standard, explique Skyler.
Le danger ne vient pas simplement du fait que les traitements n’ont pas fait leurs preuves ou sont inefficaces. Certains traitements alternatifs contre le cancer peuvent causer des dommages physiques. Les toxines de Coley, un traitement développé à la fin du 19ème siècle et proposé au CHIPSA, comportent des risques tels que l’infection, des réactions, l’anaphylaxie et, dans les cas graves, le choc.
Les traitements alternatifs peuvent également interagir mal avec les traitements conventionnels comme la chimiothérapie. En outre, le simple fait de retarder le début de thérapies éprouvées en se détournant vers des thérapies alternatives peut permettre au cancer de progresser. Cela complique et diminue l’efficacité des traitements ultérieurs.
Selon une étude de Johnson, les taux de survie sont plus faibles pour les patients cherchant en premier lieu des traitements anticancéreux alternatifs. Une étude de 2017 a montré qu’après environ cinq ans, les patientes atteintes d’un cancer du sein qui retardaient le traitement conventionnel en faveur de la médecine alternative étaient plus de cinq fois plus susceptibles de mourir.
Il existe également un risque financier. Les cliniques telles que CHIPSA n’ont pas d’assurance. Les patients doivent souvent collecter des fonds pour payer leurs traitements. Lors d’une récente campagne GoFundMe pour un patient atteint d’un cancer cherchant un traitement au CHIPSA, le montant de base était 36.500 dollars pour trois semaines de soins hospitaliers au Mexique.
Facebook mettra-t-il fin à la désinformation médicale ?
« Le seul véritable moyen de lutter contre une telle désinformation sur Facebook nécessiterait une armée de vérificateurs de faits que Facebook ne paiera jamais, compte tenu de son passé, même en matière de désinformation sur le covid-19 et de dangereuses théories du complot politique », estime David Gorski.
Par ailleurs, la désinformation médicale reste rarement confinée à la plate-forme où elle est initialement publiée. Les groupes et les publicités diffusant ces affirmations sont souvent liés à d’autres sites et réseaux qui les renforcent.
En ayant recours à des données de 2017 à 2019, Johnson a observé que les articles et les vidéos contenant des mythes sur le traitement du cancer reçoivent souvent plus d’engagement sur les réseaux sociaux que ceux provenant de sources sûres. Selon ses recherches, un article ou une vidéo en ligne sur trois au sujet du cancer peut contenir des informations erronées nuisibles.