Frances Haugen, ancienne ingénieure chef des produits chez le réseau social Facebook, a accusé le groupe Facebook de privilégier davantage le profit au détriment de la sûreté des utilisateurs.
Invitée de l’émission 60 Minutes diffusée sur CBS, la trentenaire a livré une litanie de déclarations accablantes sur le réseau social Facebook. Ayant rejoint la plateforme pour l’aider à lutter contre la désinformation, elle a déclaré que « la version actuelle de Facebook déchirait nos sociétés et provoquait des violences ethniques à travers le monde ».
Le profit avant le bien public
Faisant écho aux nombreuses critiques sur le plan éthique à l’égard de Facebook, Haugen, a déclaré que le réseau social de Mark Zuckerberg plaçait le profit avant le bien-être de ses utilisateurs et du public.
Elle a affirmé en outre avoir observé chez Facebook de nombreux conflits d’intérêts entre ce qui est considéré comme bon pour le public et ce qui est considéré bon pour l’entreprise. « Et encore une fois, Facebook a choisi l’option d’optimiser ses propres intérêts et de gagner plus d’argent », a-t-elle expliqué.
Elections américaines 2020
La lanceuse d’alerte a par ailleurs accusé Facebook d’avoir mis en danger la sécurité publique avec l’inversion du fonctionnement de l’algorithme de son réseau social à l’issue des élections présidentielles américaines de 2020. Elle estime que cela a permis d’à nouveau diffuser de la désinformation sur la plateforme.
« Une fois les élections conclues, ils ont désactivé les paramètres de sécurité ou ils ont réactivé les anciens paramètres afin de prioriser la croissance plutôt que la sécurité. Pour moi, il s’agit véritablement d’une trahison démocratique. »
Durant sa carrière de 15 ans dans le secteur de la technologie, Haugen a été employée par des entreprises telles que Google et Pinterest. Toutefois, selon elle, le réseau social de Mark Zuckerberg a la pire approche en termes de gestion et restriction des contenus préjudiciables.
« J’ai connu pas mal de réseaux sociaux et ce que j’ai vu chez Facebook est bien pire que ce que j’ai pu voir auparavant. J’ai beaucoup d’empathie pour Mark Zuckerberg et il n’a jamais voulu créer une plateforme haineuse. Toutefois, il a permis de faire des choix dont les effets secondaires sont les contenus haineux. Il s’agit de contenus polarisant afin d’avoir plus de distribution et plus de portée. »
La santé mentale et Instagram
La fuite de documents ayant l’impact le plus important est une série de documents de recherche qui montre qu’Instagram, le réseau social racheté par Facebook, nuit à la santé mentale et au bien-être de certains utilisateurs adolescents. Selon ce document, 32% des jeunes adolescentes considèrent qu’Instagram aggrave l’insatisfaction de leur corps.
« Ce qui est le plus tragique, c’est le fait que les recherches mêmes de Facebook ont mis en lumière ces problèmes. Les jeunes femmes qui commencent à consommer des contenus sur les troubles de l’alimentation, promus sur Instagram, deviennent de plus en plus déprimées. Cela les incite ensuite à utiliser davantage l’application. Et elles se retrouvent ainsi au sein d’un cycle de rétroaction où elles détestent de plus en plus leur corps. Selon les recherches de Facebook, ce qui est pire ce n’est pas qu’Instagram est dangereux, mais bien qu’il soit davantage préjudiciable que les autres formes de médias sociaux. »
Selon Facebook, le reportage du Wall Street Journal sur ces recherches n’est qu’une dénaturation.
La raison de la fuite de documents
De nombreuses personnes ont tenté de s’attaquer aux problèmes du réseau social, a expliqué Haugen, soulignant que ces dernières avaient finalement été écrasées.
Haugen a rejoint l’entreprise de Mark Zuckerberg en 2019. C’est cette année-là qu’elle a décidé d’agir et qu’elle a commencé à copier des dizaines de milliers de documents du système interne de Facebook. Selon elle, cela montre que Facebook ne fait pas, malgré ses déclarations publiques affirmant le contraire, de progrès significatifs en matière de lutte contre la haine en ligne et contre la désinformation.
Facebook et les contenus violents
Haugen a encore déclaré que Facebook avait contribué à la violence ethnique. Elle se référait ainsi aux événements de haine en Birmanie. Il y a quelques années, des utilisateurs de Facebook ont utilisé la plate-forme pour inciter à la violence contre les Rohingyas, un groupe minoritaire majoritairement musulman dans ce pays à majorité bouddhiste.
Les mèmes autorisés au partage par Facebook sur sa plate-forme ont vilipendé les Rohingyas. Ces publications les présentaient comme des immigrants illégaux qui nuisaient aux bouddhistes locaux. Grâce à l’algorithme Facebook, ces messages ont été partagés d’innombrables fois. Cela à attirer l’attention des utilisateurs sur une vision de plus en plus étroite et sombre des Rohingyas. Facebook, de son propre aveu, n’a pas fait assez pour rediriger l’attention des utilisateurs vers des sources qui remettraient en cause ce point de vue.
En 2017, des milliers de Rohingyas ont été tués, des centaines de villages ont été réduits en cendres et des centaines de milliers de personnes ont été contraintes à l’exode. Selon les Nations Unies, il s’agit d’ « un exemple classique de nettoyage ethnique ».
« Lorsque nous vivons dans un environnement d’information rempli de contenus colériques, haineux et polarisants, cela érode notre confiance civique et notre foi les uns envers les autres. Cela érode notre capacité à vouloir prendre soin d’autrui. La version de Facebook actuelle déchire nos sociétés et provoque des violences ethniques partout dans le monde », a déclaré Haugen.
Facebook et la tentative d’insurrection de Washington
La tentative d’insurrection du Capitole par des partisans de Donald Trump, survenue le 6 janvier dernier, a eu lieu après que Facebook ait dissous l’équipe d’intégrité civique à laquelle appartenait Haugen.
Cette équipe était chargée des questions liées aux élections dans le monde.
« Ils nous ont dit qu’ils étaient en train de dissoudre l’équipe d’intégrité civique car il n’y avait pas d’émeutes. Ils estimaient qu’ils pouvaient donc s’en passer. Et quelques mois plus tard, nous avons eu la tentative d’insurrection. Lorsqu’ils se sont débarrassés de l’intégrité civique, je me suis qu’ils n’étaient prêts à investir ce qui devait l’être pour éviter que Facebook soit dangereux. »
Le changement algorithmique de Facebook
En 2018, le réseau social Facebook a modifié l’algorithme de son fil d’actualités. Cet algorithme est la fonctionnalité qui fournit aux utilisateurs un flux personnalisé de contenus. Cet outil donne la priorité aux contenus qui augmentent leur engagement.
Selon Haugen, cet outil privilégie les contenus sujets à controverse.
« Avec cette manière de sélection, Facebook optimise le contenu suscitant un engagement ou une réaction. Toutefois, selon les propres recherches de Facebook, le contenu haineux et polarisant pousse davantage le public vers la colère que vers d’autre émotions. Facebook s’est rendu compte qu’en modifiant l’algorithme pour plus de sureté, les utilisateurs passaient moins de temps sur le site, cliquaient sur moins de publicités et par conséquent, Facebook gagnait moins d’argent. »
Selon Haugen, des partis politiques européens ont pris contact avec des responsables de Facebook pour leur expliquer que le changement de fil d’actualité les forçait à adopter des positions politiques plus extrêmes afin d’attirer l’attention des utilisateurs.
« Vous nous obligez à adopter des positions que nous n’apprécions pas, que nous savons être mauvaises pour la société. Toutefois, nous savons que si nous n’adhérons pas à ces positions, nous ne gagnerons pas sur le marché des médias sociaux », ont expliqué ces politiciens.