Il y a un an, l’Italie appliquait des mesures de confinement strictes à plusieurs zones de son territoire national. Le confinement total n’a concerné que certaines régions telles que la Lombardie et l’Émilie-Romagne et certains secteurs spécifiques tels que l’éducation. Toutefois, les mesures drastiques décidées par le pays ont impressionné le monde. Alors que le pays n’enregistrait que 152 cas de coronavirus et trois décès suite au virus, la quarantaine nationale du début du mois de mars 2020 faisait figure de réaction excessive.
Au fur et à mesure que les jours passaient, les mesures devenaient chaque fois plus draconiennes. Une semaine après la fermeture de toutes les écoles, tout le pays a été placé en quarantaine. Alors que la plupart des autres pays faisait encore la fête, l’Italie vivait des moments tragiques .
« Nous avons vite recensé près de 1.000 morts par jour. Les journaux locaux publiaient des pages et des pages de nécrologie d’un paragraphe. Parme, la ville où je vis, était si calme que les seuls sons que nous percevions étaient le chant des oiseaux et les sirènes d’ambulance », écrit l’auteur et journaliste Tobias Jones, correspondant local pour The Observer en Italie.
Cependant, malgré la tristesse, quelque chose était en train de se passer, précise le journaliste.
Nouvelle mentalité
Au cours des premières semaines tragiques de la pandémie, on a assisté à l’émergence d’une volonté exubérante de la part des Italiens de relever le défi. Les banlieues ont commencé â chanter ensemble, les ménages se rencontraient lorsqu’ils sortaient sur leurs balcons. Des violonistes et guitaristes virtuoses ont transformé leurs terrasses en scènes. On se souviendra de ces deux jeunes filles jouant au tennis entre leurs toits respectifs à Gênes.
« Malgré le chagrin, quelque chose d’extraordinaire était en train d’arriver : il y avait des bancs de poissons dans les canaux vénitiens aux eaux propres et des dauphins sautant aux alentours des ports inactifs. Des lièvres et des cerfs se promenaient dans les parcs publics et les terrains de golf et des colverts sont apparus sur la Piazza di Spagna de Rome. Alors que l’air notoirement pollué de la vallée du Pô se purifiait, nous entonnions « Ma il cielo è sempre più blu (The Sky is Evermore Blue) » de Rino Gaetano ».
Il s’agit d’une période qui a changé non seulement la façon dont les étrangers perçoivent l’Italie, mais aussi la façon dont les Italiens se voyaient, explique Jones. Les Italiens sont souvent l’objet de stéréotypes (tant de leur part que de la part des étrangers). L’Italie est souvent cataloguée comme une nation de contrevenants aux règles qui cherchent à détourner le bien public à des fins privées.
« Mais durant ce printemps, le pays est devenu ordonné et obéissant. Nous avons appris à faire la queue. Alors que d’autres pays n’appliquent pas ou ne suivent pas les directives, l’Italie a développé, dans l’ensemble, une législation claire et une adhésion à celles-ci de la part de la société. Il y avait une sombre dignité dans le pays. »
Économie à genoux
Mais la situation était loin de s’améliorer. À la fin mars, le pays comptabilisait 10.000 morts du coronavirus, à mi-avril, 20.000 décès et au début mai, 30.000.
« L’étrange euphorie disparaissait et le slogan « tout ira bien », peint sur des draps accrochés aux balcons devenait insipide, voire insultant. »
L’économie italienne, fortement dépendante du secteur hôtelier, secteur le plus durement touché par la crise Covid, était à genoux. Les réservations de touristes étaient au plus bas et les bars étaient aux prises avec des heures d’ouverture considérablement réduites et des règles en constante évolution.
Beaucoup de personnes actives dans ce secteur ont mis d’ailleurs mis fin à leurs jours. À la mi-mai, au moins 14 hommes d’affaires s’étaient suicidés à cause de la catastrophe économique. En septembre, ce chiffre était passé à 71. Derrière ces tragédies s’en cachent d’autres. En Italie, on recense un pourcentage important de faillites, de divorces et de violences domestiques. Le chômage est désormais de 9% et celui des jeunes atteint 30%. Par ailleurs, sur les 444.000 personnes qui ont perdu leur emploi en 2020, 312.000, soit 70%, sont des femmes.
La mafia en bon samaritain
Ces souffrances économiques ont eu deux conséquences notables, explique Tobias Jones.
« Comme cela arrive souvent lorsque l’État italien est confronté à une crise, le crime organisé intervient. Les mafiosi ont distribué des colis alimentaires dans des banlieues défavorisées, suspendu les paiements de protection et offert des prêts de trésorerie immédiats. Cette « mafia-bien-être » est une affirmation stratégique de supériorité sur l’État, un moyen de créer un consensus, un contrôle et un endettement, littéralement et métaphoriquement. »
La mafia a également racheté des entreprises en difficulté. 43.688 entreprises italiennes ont changé de mains entre avril et septembre 2020. Toutes ne sont pas passées à la propriété criminelle, mais, étant donné le nombre élevé de nouveaux propriétaires choisissant l’anonymat via des solutions offshore et des fiducies opaques, on pense que c’est le cas pour beaucoup d’entre-elles.
Élan de solidarité
Mais on a également assisté à une augmentation de la solidarité authentique. Face à une prise de conscience croissante de la vulnérabilité des plus faibles de la société, des associations bénévoles, des associations caritatives et des banques alimentaires informelles ont été créées pour les protéger.
À Brescia, l’une des villes italiennes les plus touchées par le coronavirus, la pandémie est une expérience qui a changé le tissu social de la ville.
« Le virus nous isolait. Il y avait un besoin, un besoin physique, d’être une communauté. La nourriture est devenue un moyen fondamental de le faire », explique une habitante de la ville.
On constate d’autres changements subtils. Depuis 2006, 2,4 millions d’Italiens, dont beaucoup sont jeunes et hautement qualifiés, ont émigré. En d’autres termes, 9% de la population italienne vit désormais à l’étranger. Mais au cours des 12 derniers mois, cette fuite des cerveaux s’est inversée.
Ce changement démographique se produit également en interne. Le travail à distance, associé à des incitations fiscales, a permis à de nombreux sudistes de rentrer chez eux après un séjour dans les villes industrielles du nord. Et comme tant d’Italiens ont des résidences secondaires, certains ont décidé de rester à l’écart de la pandémie à la campagne. Tous ces changements signifient que certaines villes et certains villages sont, peut-être seulement temporairement, repeuplés et revigorés.
Baby-bust
Avec la pandémie, l’Italie persiste en outre sur la tendance du « baby-bust » ou vieillissement démographique. L’Italie a déjà l’un des taux de natalité les plus bas au monde. En décembre 2020, neuf mois après le début de la crise, les naissances étaient en baisse de 21,6%. Les naissances globales pour 2020 devraient être de 408.000, ce qui serait le nombre annuel le plus bas depuis l’unification italienne en 1861.
Ces chiffres sont particulièrement frappants. En effet, 17% des Italiens ont plus de 70 ans et 7,2% ont plus de 80 ans. Or, le vieillissement démographique est considéré comme l’une des principales causes du taux de mortalité lié au Covid -19 en Italie.
Un peu plus de 95.000 personnes sont décédées des suites du coronavirus dans le pays.
Les perspectives économiques restent également désastreuses : l’année dernière, le taux d’endettement de l’Italie a grimpé de 33 points pour s’établir à 160% du PIB.
« Le pays apparait maintenant – et ce sont des adjectifs qui pourraient décrire le nouveau Premier ministre du pays, Mario Draghi – comme un endroit sobre et sérieux », conclut Tobias Jones.