Selon le journaliste argentin Pablo Stancanelli, 98% de la population est totalement analphabète d’un point de vue numérique. Stancanelli déclare d’ailleurs faire partie de ce pourcentage.
« La technologie est devenue centrale. Nous devons traiter ces questions non pas de manière décousue, mais plutôt comme un tout et aller vers une nouvelle alphabétisation de la société », affirme Pablo Stancanelli, rédacteur du Monde Diplomatique, dans Retina, le supplément technologique du quotidien espagnol El País.
La révolution numérique n’a rien de nouveau. On l’étudie depuis les années 80 et ce, même si l’origine d’Internet remonte aux années 60. Cependant, la pandémie actuelle de coronavirus constitue le moment idéal pour étudier les évolutions technologiques d’une manière commune et globale, souligne le journaliste.
Connexion globale
Pablo Stancanelli a participé à l’écriture de l’ouvrage « El Atlas de la revolución digital. Del sueño libertario al capitalismo de vigilancia » (L’Atlas de la révolution numérique. Du rêve libertaire au capitalisme de la surveillance) dans lequel les différents auteurs narrent chronologiquement la transformation numérique selon une perspective globale où ils démontrent qu’absolument tout est connecté.
Prévue pour mars, la publication de cet atlas fut retardée à cause de la pandémie. « Tout était désuet. Le confinement venait de démontrer la portée de la technologie et son rôle primordiale dans la vie de tous les jours. Nous devions actualiser l’ouvrage », explique Stancanelli.
Regard sur le passé
À ses débuts, lors de sa massification, Internet était un mouvement libertaire et utopique censé rompre avec les hiérarchies. On affirmait, à l’époque, que le Web allait en finir avec les inégalités étant donné que tout le monde pourrait avoir accès à une information gratuite, rappelle le journaliste. Il était possible de communiquer avec tous les coins du monde et Internet allait permettre de construire un monde plus égalitaire et plus libre.
« Mais ce que l’on a soudainement constaté durant ce processus, c’est que le capitalisme, s’étant emparé de ces outils, les utilise d’une certaine manière pour précariser encore davantage la société, afin de créer encore plus d’inégalité et d’instaurer encore plus de techniques de surveillance », précise-t-il.
« L’univers collectif, gratuit et accessible à tous, a pris une autre direction. Internet n’a réussi à fuir ni la logique commerciale et financière qui dominent nos sociétés, ni les États plus autoritaires ou dictatoriaux. Notre atlas tente de décrire ce parcours de la technologie et d’enseigner ce qu’il se passe réellement de l’autre côté de l’écran que nous regardons tous les jours et plus encore par ces temps de pandémie. Il est temps que les citoyens sachent réellement ce qu’est Internet et découvrent comment en faire un meilleur usage. »
« Attrapés dans la Toile »
C’est avec ces quatre mots que commence le livre. Selon Stancanelli, la société n’a pas vraiment conscience de la portée de ces outils et du mauvais usage qui en fait.
« De nos jours, il semble que c’est Internet qui a accès à nous. Le prix à payer pour la gratuité d’Internet est une question qui est de plus en plus débattue », explique le coordinateur de l’atlas. Même si cet ouvrage n’a pas comme objectif de diaboliser la technologie et qu’il reconnaît que les outils numériques actuels sont fantastiques, il met également le doigt sur le fait qu’il existe des monopoles, des censures et des abus et que ce n’est pas Internet le responsable, mais bien l’être humain.
« Le Web multiplie les tensions. Internet influe beaucoup dans la dégradation du monde et la pandémie l’a mis en lumière », avance Stancanelli.
Une des inquiétudes majeures de ce dernier est la manipulation de l’information, lesdites fake news, fausses informations ayant augmenté avec la crise sanitaire.
« On dirait que tout d’un coup, nous pouvons tous être journalistes et diffuser une information. Il existe une circulation et une manipulation de l’information qui représente un problème grave pour la démocratie et parallèlement, on assiste à une négation des risques que comportent ces outils. »
Droits numériques
Selon Stancanelli, il n’existe pas encore de mouvement suffisant de la part de la société pour défendre les droits numériques. Toutefois, les citoyens commencent à se rendre compte de cette nécessité.
Un bon commencement pour résoudre ces questions serait de penser la manière dont l’information est livrée aux plus jeunes, ces derniers considérant cet environnement comme naturel.
« Ils passent toute leur vie au sein des réseaux et c’est pour cela qu’il est nécessaire de les éduquer davantage sur ces outils durant leur cursus scolaire », estime le journaliste. Selon lui, il faudrait que les États et organisations gouvernementales promeuvent un usage des dispositifs et des applications avec un contrôle majeur et une transparence plus importante pour que ces jeunes comprennent mieux les rouages de la communication numérique.
« Par exemple, maintenant que nous utilisons tous Zoom, nous devrions nous demander ce que cela représente pour notre confidentialité. On nous écoute peut-être à l’instant et nous ne savons presque rien à ce sujet. Il s’agit d’une mise en garde. L’usage que nous faisons de la technologie se convertit en quelque chose de très néfaste si nous ne fixons pas des limites », conclut Stancanelli.