Les êtres humains sont des animaux sociaux. Toutefois, tout introverti vous dira qu’un trop-plein de compagnie peut être pire que l’isolement. Tout au long de l’histoire, les personnes qui aiment passer du temps seules ont été observées avec pitié, écrit le site Endgadget dans une critique de « History of Solitude », le dernier livre de l’auteur britannique David Vincent, professeur émérite d’Histoire à The Open University.
Dans cet ouvrage, l’écrivain étudie l’histoire de la solitude à travers trois siècles et explore le comportement des personnes lorsque seule leur ombre les accompagne. Vincent montre comment nos attitudes envers le fait d’être seul – physiquement et mentalement – ont évolué au fil du temps. L’ampleur de son étude est impressionnante. Elle englobe la passion des poètes romantiques pour les promenades en solitaire à la réforme pénale et à la montée des retraites spirituelles.
David Vincent décrit la longue histoire de la solitude comme une pratique positive, une chose recherchée comme un moyen de cultiver une vie intérieure plus profonde, comme une pratique dans les traditions religieuses et, dans la modernité, comme une manière d’échapper à l’oppression de la société industrialisée et à la culture de masse.
Un des principaux arguments de Vincent est que la solitude a souvent été le privilège des riches. Vivant dans des ménages surpeuplés pendant une grande partie de l’histoire, les travailleurs ont du mal à saisir des moments privés pour une réflexion personnelle. Lorsque ces personnes ont réussi à profiter de leur temps, il s’agissait d’une « solitude abstraite », une période de temps pendant lequel elles étaient entourées, mais à l’écart, d’autres personnes.
D’une part, dans la période actuelle de distanciation sociale forcée, le livre soulève la question de savoir si nous pouvons transformer la privation sociale en une opportunité d’enrichissement personnel et de renouveau communautaire. D’autre part, à notre époque et plus encore par temps de pandémie, Vincent montre que l’essor important des technologies modernes de communication modifie notre relation à la solitude. Avec Internet et toutes les applications mobiles disponibles, bien que les personnes soient plus isolées d’un point de vue physique qu’à n’importe quelle période du passé, elles sont simultanément plus connectées socialement que jamais.
Solitude en réseau
La forme de solitude la plus saine est une forme flexible qui la combine avec la sociabilité. La technologie moderne a rendu à la fois plus facile et plus difficile la quête d’un bon équilibre. Internet a introduit ce que Vincent nomme la « solitude en réseau ».
Les ermites modernes peuvent s’asseoir dans leurs appartements et dévorer des livres et des films téléchargés ou discuter avec des amis à travers le monde. En revanche, il est plus difficile de profiter des bienfaits de la solitude. La distraction est toujours à portée de clic.
Au début de la révolution numérique, la solitude en réseau a été considérée comme un allié productif nécessaire de la solitude physique. Étant donné qu’une majorité de la population vivait au sein de villes animées en expansion, la capacité des nouvelles technologies de communication à se libérer mentalement de toute entreprise pressante a été saluée.
Par ailleurs, dans leur forme la plus créative, les données et les récits numériques ont encore accru la capacité de la solitude en réseau à abstraire les utilisateurs de leur environnement immédiat et de leur permettre de dialoguer avec des personnes éloignées et des mondes alternatifs.
Préoccupations majeures
Cependant, l’utilisation croissante d’Internet a soulevé deux préoccupations urgentes. Dans un premier temps, avec la prise de conscience croissante des capacités de surveillance des médias, la perception de la solitude comme dernier domaine de l’indépendance personnelle s’est opposée à l’utilisation des systèmes de communication pour étendre la portée de cet isolement. La même technologie qui permet à l’individu solitaire de s’engager à distance avec la société permet également à la société de s’engager à distance – et parfois secrètement – avec l’individu. Des entreprises géantes veillent sur nous que vous nous soyons seul ou dans une foule.
Plutôt que d’enrichir le domaine du retrait, le smartphone connecté aux moteurs de recherche et aux médias sociaux serait en mesure d’appauvrir complètement cet éloignement. En outre, les technologies actuelles de reconnaissance faciale menacent d’abolir le concept même de solitude. Avec celles-ci, il n’y aura plus d’espace dans lequel les individus pourront se parler sans être vus ou entendus par des entreprises ou des agences d’État.
Deuxièmement, l’immersion dans l’univers internet ravive l’appréhension selon laquelle il existe des formes de retrait qui constituent un voyage à sens unique. Plusieurs doutes ont été émis quant à l’impact de la communication numérique sur un juste équilibre entre le solitaire et le social. Certains experts ont avancé que l’univers en ligne enferme l’utilisateur dans un domaine où ni la vraie solitude, ni les relations interpersonnelles efficaces ne peuvent être appréciées. Plusieurs voix mettent en garde contre l’addiction à Internet, principalement chez les jeunes utilisateurs, et s’inquiètent du fait que les compétences d’interaction en face-à-face se perdent.
Selon Sherry Turkle, psychologue et professeur d’études sociales en science et technologie au Massachusetts Institute of Technology, les personnes qui passent plus d’un jour par semaine sur une messagerie n’auront ni le temps, ni la capacité de se parler. Les effets sont mutuellement destructeurs. Les heures passées en ligne empêchent le développement du sens de l’intériorité nécessaire à des relations personnelles efficaces et, à son tour, la décadence de la communication orale empêche la création d’une identité plus complète.
« La solitude », écrit Turkle, « est censée renforcer un sentiment de confiance en soi et, avec cela, la capacité d’empathie. Ensuite, la conversation avec les autres fournit un matériau riche pour la réflexion sur soi. Tout comme nous nous préparons seuls à parler ensemble, nous apprenons ensemble à nous engager dans une solitude plus productive. »
Renouveau de l’attrait pour la solitude en temps de pandémie
De nos jours, la croissance à long terme de l’individualisme possessif a compliqué le rôle de la solitude physique en tant que réponse à la modernité, explique le site Endgadget. D’une part, l’amélioration de la consommation et de la communication a beaucoup contribué à démocratiser l’expérience des comportements isolés. Cependant, d’autre part, cela a permis de maintenir en vie le rôle de la solitude en tant que réponse critique au matérialisme de l’époque. Le retrait des dépenses excessives et des rapports sociaux et mondains suscite un attrait renouvelé. Cependant, les moyens institutionnels d’accueillir et de soutenir de telles retraites ont perdu beaucoup de leur influence.
Le confinement a placé la question de la solitude au cœur de la politique. La distanciation sociale a été une tragédie pour ceux qui vivent et, dans certains cas, meurent seuls. Mais pour d’autres, cela s’est avéré une étrange bénédiction. Les personnes surmenées ont pu faire une pause sur le tapis roulant des déplacements domicile-travail. Beaucoup ont choisi des passe-temps abandonnés depuis longtemps, comme cultiver son jardin ou jouer aux cartes. La solitude est à la fois l’une des plus grandes bénédictions et des plus grandes malédictions de l’humanité et, grâce à un virus qui a été transporté à travers le monde par la sociabilité humaine, davantage de personnes sont en mesure d’expérimenter ces deux états.