Cinquième-pouvoir.fr

Pourquoi un monde meilleur (ou pire) pourrait émerger après le coronavirus

Unsplash

Unsplash

La plupart des Européens soutiennent l’idée de l’implémentation d’un revenu de base universel après le coronavirus, indique une étude de l’Université d’Oxford. Cette enquête révolutionnaire montre également que la pandémie de Covid-19 pousse les citoyens européens à envisager l’impensable sur le plan politique et économique.

Des idées, jusqu’ici considérées comme radicales, voire utopiques, sont devenues des thèmes dominants durant la crise de coronavirus, suggère l’étude Europe’s Stories, menée auprès de citoyens de l’Union européenne et du Royaume-Uni.

Une manière de répondre aux défis de l’après-coronavirus

Une conclusion particulièrement frappante de cette étude est le soutien, parmi tous les groupes d’âge, à l’idée d’un revenu de base universel. Plus de 70% des répondants sont en effet en faveur de ce concept, souvent considéré comme irréaliste auparavant.

Un revenu de base universel, selon lequel tous les citoyens auraient droit à un revenu de base payé par le gouvernement indépendamment de leur statut d’emploi, est une idée avancée par certains économistes et penseurs politiques en tant que moyen afin de répondre, en pleine période de scepticisme, à des défis tels que les inégalités sociales et la menace de l’automatisation dans la sphère professionnelle. A présent, selon cette étude, le soutien à une telle idée serait important tant au Royaume-Uni (plus de deux tiers des répondants) qu’à travers l’UE. Par ailleurs, 84% des Européens soutiennent un salaire minimum obligatoire.

« Ces résultats doivent évidemment être interprétés dans le contexte de la pandémie de Covid-19, qui a presque mis un terme à la vie à l’extérieur au mois de mars 2020. De toute évidence, cette étude a été menée en pleine époque d’insécurité économique et sociale accrue », a déclaré le professeur d’Oxford Garton Ash, historien, journaliste et auteur principal de l’enquête.

« Il est clairement trop tôt pour dire quel genre de moment la pandémie de coronavirus sera pour l’Europe, mais ce sera sûrement un moment important », précise le professeur en études européennes à l’Université d’Oxford.

L’enquête a été menée, entre le 5 et le 25 mars, auprès de plus de 12.000 répondants dans 27 États membres de l’UE et au Royaume-Uni. Les questions ont été conçues par l’équipe de recherche d’Europe’s Stories, un projet de recherche du Dahrendorf Programme for the Study of Freedom at the European Studies Centre, le St Antony’s College, l’Université d’Oxford, en collaboration avec des experts du projet d’enquête eupinions de la fondation Bertelsmann .

Ce projet de recherche explore en profondeur les priorités des Européens. On apprend entre autres que parmi celles-ci figurent le changement climatique, l’emploi et la sécurité sociale. Reflétant les préoccupations majeures des citoyens de l’ensemble de l’Europe, l’étude a constaté que les personnes interrogées étaient radicalement divisées quant à leur vision de l’avenir. La moitié des répondants ont affirmé ne pas avoir confiance en l’avenir en ce qui concerne les perspectives d’emploi. Cependant, la pandémie ne semble pas vraiment affecté l’optimisme des jeunes. L’enquête a révélé qu’en moyenne, les deux tiers des jeunes répondants sont « très » ou « quelque peu » confiants sur le plan de leur future sécurité d’emploi, contre seulement 35% des personnes âgées sondées.

Perspectives inquiétantes

Bien que, comme le montrent les résultats cités précédemment, la crise du coronavirus semble faire souffler un vent de croyance en un changement radical sur le monde, cette étude fait apparaître certains résultats moins encourageants, du moins pour ceux qui croient en la démocratie libérale, explique Timothy Garton Ash dans le quotidien britannique The Guardian.

Ainsi, l’enquête a en outre montré que pas moins de 53% des jeunes Européens faisaient davantage confiance aux États autoritaires qu’aux démocraties pour faire face à la crise climatique.

« Contrairement aux Européens plus âgés, qui se souviennent encore des dictatures communistes en Europe de l’Est et des régimes autoritaires en Espagne, au Portugal et en Grèce, la plupart des jeunes citoyens de l’UE n’ont aucun souvenir personnel de la dictature. »

Il est nécessaire de préciser que le sondage a été mené par eupinions en mars, alors que la majeure partie de l’Europe se confinait face au virus. Toutefois, les questions ont été formulées plus tôt.

« Il serait fascinant de demander maintenant aux Européens quel système politique, selon eux, s’est révélé le plus efficace dans la lutte contre une pandémie dans un contexte où les États-Unis et la Chine, la plus grande démocratie du monde et la plus grande dictature du monde, se lancent des accusations virales », ajoute Garton Ash.

Ces deux résultats d’enquête contrastés montrent à quel point les enjeux seront importants à la sortie de l’urgence médicale immédiate et face à la pandémie économique qui s’ensuit et à ses retombées politiques.

« Quel genre de moment historique cela se révélera-t-il, pour l’Europe et le monde? Cela pourrait nous conduire au meilleur des temps comme cela pourrait nous conduire à la pire des époques », insiste l’historien.

Jusqu’à récemment, la proposition d’un revenu de base universel était souvent rejetée comme farfelue et utopique. Mais durant le confinement anti-pandémie, de nombreux pays développés ont introduit des mesures relativement proches de ce concept. Le ministre espagnol de l’économie a déclaré que son « revenu vital minimum » pourrait devenir un instrument permanent du système national.

En outre, il ne se passe presque plus un jour sans que l’on le puisse lire un autre article suggérant que le revenu de base universel, ou une variante de celui-ci, est une idée dorénavant nécessaire.

« Ce serait l’un des ingrédients d’un avenir potentiel dans lequel nous serions parvenus à transformer l’une des plus grandes crises du monde d’après-guerre en l’une de ses plus grandes opportunités. Nous pouvons lutter contre la montée des inégalités, tant économiques que culturelles, qui a érodé les fondations même des démocraties libérales établies comme la Grande-Bretagne et les États-Unis. Ayant appris à travailler de différentes manières, davantage de chez soi et avec moins de déplacements inutiles, nous pouvons transformer cela en un nouveau modèle vie-travail. Dans le même temps, nous reconnaissons de la sorte qu’une planète traquée par des menaces véritablement mondiales, comme ce virus et le changement climatique, nécessite davantage de coopération internationale. Et l’UE, qui a organisé au début de la semaine une réunion internationale pour lever des fonds pour lutter contre Covid-19, devient ainsi un moteur de l’action collective mondiale », avance Garton Ash. 

Scénario cauchemardesque

Toutefois, à côté de cette part de rêve et d’espoir, on trouve également un scénario potentiellement cauchemardesque. Garton Ash explique en effet que ce moment d’après-guerre pourrait davantage ressembler aux années suivant la Première guerre mondiale qu’à la reconstruction libérale et social-démocrate d’après 1945.

Les impulsions nationalistes que nous voyons chez Donald Trump et Xi Jinping deviennent encore plus prononcées. La récession post-coronavirus se convertit peu à peu en une grande dépression. L’inégalité grimpe, plutôt qu’elle ne diminue, à la fois au sein de nos sociétés et entre différents pays. En Europe, les pays riches du nord tels que l’Allemagne et les Pays-Bas ne manifestent tout simplement pas le degré de solidarité nécessaire envers les économies battues des Etats-membres du sud. Au lieu de cela, ils utilisent la suspension des limites des aides d’État justifiée par la crise de l’UE pour injecter des fonds publics dans leurs industries clés, et le fossé entre les États du nord et du sud de la zone euro s’élargit.

Dans quelques années, un populiste comme Matteo Salvini, ou quelqu’un de pire encore, pourrait prendre le pouvoir dans une Italie où la dette publique représente désormais environ 160% du PIB et considérer que tous les malheurs du pays sont dus à un manque de solidarité nord-européenne.

Pendant ce temps, dans la moitié orientale du continent, la Hongrie reste une dictature. Les pouvoirs d’urgence temporaires de Viktor Orbán deviennent mystérieusement permanents. En Pologne, Droit et Justice (PiS), le parti actuellement au pouvoir, insiste pour organiser une élection présidentielle entièrement par la poste, scrutin qui ne peut être libre et équitable, et emprunte la voie hongroise.

L’UE, qui n’est plus une communauté de démocraties et qui est déchirée le long de ses axes nord-sud et est-ouest, s’affaiblit et se désintègre progressivement. Livrés à eux-mêmes, ses États-membres ne parviennent pas à offrir des perspectives d’emploi adéquates, une sécurité sociale et un avenir écologiquement durable à leurs jeunes citoyens.

« Et donc, ces Etats-membres se tournent vers des solutions autoritaires. L’Europe regarde toujours moins les États-Unis, mais toujours plus la Chine », précise Garton Ash.

« En 2030, nous n’aurons probablement ni cet enfer ni ce paradis, mais juste une version de notre purgatoire humain habituel. Toutefois, la variante de laquelle nous nous rapprochons dépend entièrement de nous : des Américains et des Chinois, des Russes, des Indiens et des Brésiliens, bien entendu, mais en Europe, cela tient principalement à nous, les Européens. »

 

 

 

Quitter la version mobile