La cyber-défense, nouvelle arme diplomatique de l’Estonie

27/08/2013 Non Par Patrice Tallineau

Un pays balto-nordique à fort potentiel de développement

 

Jeune état indépendant (1991) de 1,2 millions d’habitants, l’Estonie est un pays coincé entre d’un côté son héritage soviétique qu’elle doit à sa proximité géographique et son histoire commune avec le géant russe, et de l’autre une culture nordique qui la rapproche des pays occidentaux du fait d’abord de sa langue appartenant au groupe finno-ougrien et du protestantisme d’obédience luthérienne, et depuis les années 2000 de son intégration à l’OTAN (2004), son adhésion à l’Union Européenne la même année et à la zone Euro (2011). C’est cette position géopolitique délicate qui a poussé l’état balte le plus septentrional à s’émanciper le plus rapidement et le plus efficacement possible de l’influence de Moscou. Peu de solutions s’offraient en effet à cette ancienne république socialiste et soviétique à la fin de la guerre froide. Entre retourner dans le giron russe ou tenter de préserver son indépendance au risque de quitter une aire d’influence (celle de la C.E.I.) pour une autre incarnée par l’Union Européenne et les Etats-Unis, l’Estonie a fait le choix de la coopération avec ses anciens rivaux. Consciente de la nécessité de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie et des conséquences qu’impliquerait la conduite d’une politique économique résolument tournée vers l’Ouest et d’une diplomatie émancipée de l’ancien dogme soviétique, le pays n’au eu d’autre choix que de se rendre immanquable à l’endroit de ses nouveaux alliés. Parce que son contexte régional implique à l’Estonie de soutenir la gageure d’une indépendance politique, elle a pour cela choisi de se doter d’une nouvelle arme diplomatique qui lui permettrait de compenser les carences que sont une armée faible en nombre, des ressources financières limitées et une population jugée insuffisante pour appuyer son ‘soft power’. La jeune nation a trouvé en l’informatique, une arme économique et diplomatique efficace lui permettant de faire l’impasse sur de trop lourds investissements et sur une importe réserve de main-d’œuvre.

 

La technologie informatique, arme de salut d’un petit état européen en manque de reconnaissance

 

En joignant l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’Estonie a fait le pari de l’intégration militaire transatlantique. Entrer dans le club très fermé des anciens pays de l’Est ayant rejoint le commandement militaire intégré sous l’égide américaine a exposé le petit état balte au courroux de son géant voisin. La décision stratégique prise de rejoindre l’organisation antagoniste au défunt Pacte de Varsovie a permis de placer sous « protectorat militaire » l’Estonie. Si plus aucune menace de confrontation directe avec la fédération de Russie ne plane sur Tallinn, l’adhésion à l’OTAN ne résout toutefois pas l’épineux problème du boycott politique, économique et énergétique auquel elle est confrontée. Désormais libre de traiter avec plus de marge de manœuvre la question de la minorité russophone (25,6% de la population en 2012) pro-russe et nostalgique de l’URSS et d’orienter sa diplomatie dans le sens de ses intérêts avec les anciennes républiques soviétiques limitrophes (Biélorussie, Ukraine et Géorgie). Afin de se rendre « nécessaire » auprès de ses nouveaux alliés, le gouvernement estonien a opté pour une spécialisation industrielle fortement marquée par l’industrie et a donc conséquemment orienté et ce à l’échelle nationale, l’économie du pays.

 

Estonie, le « Tigre » balte reconverti dans l’informatique

 

Cyber-défense, cyber-espionnage et cyber-guerre voilà les domaines stratégiques vers lesquelles s’est orientée très tôt l’industrie du pays. Consciente de ce que pourrait lui apporter une hyper spécialisation en sécurité informatique, à savoir une reconnaissance à un niveau international, l’Estonie a su avec brio anticipé la cyber-guerre se profiler entre les nouvelles puissances émergentes d’un côté (les pays du BRICS) et les 2 pôles occidentaux de la Triade (Etats-Unis et Union Européenne). Cette nouvelle forme de guerre sans « armes » ni soldats a, dans un monde post guerre froide, su suffisamment suscité l’intérêt du gouvernement estonien pour convertir un pan franc de son industrie. L’objectif poursuivi par Tallin est double, puisqu’en disposant d’une compétence rare en termes de cyber-sécurité et de cyber-défense, cette stratégie rehausse le statut particulier du pays aux yeux des pays de l’OTAN. Si de par sa position géographique le pays reste hautement « stratégique », l’Estonie dispose désormais d’une seconde raison pour le commandement militaire intégré de conserver et défendre assidument le « Tigre de la Baltique ». Si le pays a su se rendre « nécessaire » pour la défense des intérêts de ses alliés, il a également réussi à maintenir à distance les velléités de la Russie qui se méfie à présent d’un rival disposant de capacités avancées en termes de cyber-guerre et d’un pouvoir de nuisance important. Les retombées de l’industrie informatique estonienne ne profitent pas qu’au complexe militaro-industriel mais s’adresse aussi au civil qui jouit des toutes dernières innovations technologiques, la start-up Skype, rachetée depuis par Microsoft, étant l’exemple emblématique de cette reconversion réussie.

 

Tallinn, lieu de formation des spécialistes informatiques de l’OTAN et de conférences internationales sur le thème de la cyber-défense

 

Depuis son intégration au Traité de l’Atlantique Nord, l’Estonie a pris une importance stratégique en tant qu’haut lieu de réunion et de formation des spécialistes de la cyber-guerre et du cyber-espionnage. Le 1er janvier 2006 a été décidé que Tallinn abriterait un des futurs CERT (CERT-EE ou Computer Emergency Response Team) qui concentre les services de sécurité et une équipe de réactions aux incidents liées au risque d’attaques cybernétiques. Le pays a obtenu les accréditations requises le 12 mai 2008 et est depuis 1er janvier 2010 membre à part entière du TF-CSIRT (Task Force-Computer Security Incident Response Teams).  C’est également à Tallinn que l’OTAN a décidé de former ses spécialistes en cyber-défense, cyber-espionnage et cyber-guerre dans son « Centre d’excellence pour la coopération en matière de cyberdéfense ». Depuis 5 années maintenant, l’OTAN en étroite collaboration avec l’Union Européenne organise une conférence internationale sur le thème de la cyber-défense du nom de CyCon. Ce rendez-vous international de la coopération militaire en matière de cyber-sécurité se tient chaque année dans le ‘NATO Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence’ (CCD COE), mentionné précédemment. Si la vocation de la conférence est de réunir les principaux experts internationaux dans le domaine de la sécurité informatique, elle est toutefois destinée aux ressortissants des pays membres de l’OTAN qui y voient là une opportunité d’échanger en termes de réponses techniques et juridiques à apporter aux risques de cyber-attaque et d’évoquer les politiques communes et les stratégies à mettre en place en ce qui concerne la cyber-défense autour d’ateliers pratiques et de sessions de question-réponse entre les participants.

 

Patrice TALLINEAU